Albert Gilles

Les œuvres en métal repoussé d’Albert Gilles qui se retrouvent à la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption de Moncton partagent l’humilité de leur « artisan ». Par la subtilité de leur emplacement et le ton de leurs couleurs, elles ont l’air de dire : « Nous ne sommes que des ornements, pas des œuvres d’art ». En effet, ces œuvres ont tellement su s’intégrer dans le décor de la cathédrale que leur origine a été oubliée avec l’usure du temps. Pourtant, quand on réalise la richesse des détails de ces plaques de métal, on comprend qu’elles ont une valeur trop importante pour rester inconnues. Ainsi, le centre d’interprétation MR21 de la cathédrale de Moncton retisse des liens avec le musée Cuivres d’Art Albert Gilles, au Québec. Trois générations de Gilles y conservent encore aujourd’hui l’héritage artistique de ce cet homme né à Paris qui vint faire sa vie en Amérique. Décorateur et spécialiste du repoussé, artisan ou artiste selon la perspective, Gilles donna à la cathédrale l’Assomption les seize bas-reliefs de la table de communion, les huit plaques du baptistère ainsi que son couvercle, la lampe centrale du sanctuaire et probablement plusieurs autres objets impossibles à identifier avec certitude. Voyons en quoi ces œuvres témoignent d’un savoir-faire exceptionnel.

Albert Gilles (1895-1979)

Né à Paris en 1895, au cœur de l’ère de l’acier, des gratte-ciel, de la tour Eiffel et des grandes expositions internationales, Albert Gilles a grandi dans une période où le travail du métal connait un essor remarquable. Introduit à la technique du repoussé par sa tante alors qu’il n’a que douze ans, il perfectionne ensuite ses talents en suivant des cours d’art parallèlement à ses études de commerce. Après avoir été gravement blessé à la main droite par un obus pendant la Première Guerre mondiale, il réussit à récupérer suffisamment pour reprendre le métal comme passe-temps. Cela lui permet de se lancer dans une carrière de décorateur et de designer d’intérieur, où il peut mettre en valeur ses créations et enrichir sa pratique artistique. Il confirme son talent en remportant le prix du Salon des artistes décorateurs de Paris en 1925-1926, avant de quitter définitivement la France pour l’Amérique vers la fin des années 1920. Arrivé à Québec en 1927, puis établi à Détroit dès 1929, il travaille pour des dirigeants de Chrysler et de General Motors, puis s’installe en Californie en 1933 pour collaborer avec la communauté hollywoodienne, notamment les Universal Studios, ainsi que des stars telles que Mae West, Fredric March, Walt Disney et Roy Disney. Après un passage à La Havane pour restaurer les portes du Capitole national de Cuba, Gilles revient au Québec et ouvre un atelier à Cowansville en 1937, se consacrant pleinement au repoussé et réalisant des œuvres religieuses pour plus d’une trentaine d’églises, dont le célèbre sanctuaire Sainte-Anne-de-Beaupré où il fabrique le tabernacle et les grandes portes en cuivre. Installé à Château-Richer à partir de 1953, il crée de nombreuses pièces pour des églises canadiennes, dont celles de la cathédrale de l’Assomption — baptistère, lampe du sanctuaire, plaques de la table de communion — rejoignant ainsi les quatre artistes ayant aussi œuvré à Sainte-Anne-de-Beaupré. À partir des années 1960, il diversifie encore sa production, fonde le musée Cuivres d’Art et ouvre des boutiques à Montréal, Ottawa, New York et Vergennes. Aujourd’hui, trois générations de Gilles perpétuent son héritage au Musée Cuivres d’Art Albert Gilles.

Les œuvres de Gilles à MR21

À la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption de Moncton, les œuvres en métal repoussé d’Albert Gilles ont été installées en 1940, au début de sa « période religieuse ». Comme mentionné, leur emplacement rend leur appréciation difficile, comme si elles essayaient intentionnellement de passer inaperçues. Entièrement faites à la main à l’atelier de Cowansville, elles ont, malgré leur « humilité », une valeur artistique et patrimoniale inestimable. 

Baptistère

Chacune des huits faces du baptistère (également appelé les fonts baptismaux) est ornée d’une plaque, mesurant environ 32 centimètres de haut et 20 centimètres de large, d’étain repoussé encadrée de laiton, un alliage de cuivre et de zinc. Les plaques latérales illustrent les sept Sacrements de l’Église catholique — le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la réconciliation, l’onction des malades, l’ordination et le mariage — auxquelles s’ajoute une scène centrale représentant le baptême de Jésus.

Table de communion et autel amovible

Sur la table de communion et l’autel amovible se trouvent seize plaques d’environ 40 centimètres de haut et 65 centimètres de large. Ces plaques illustrent les quinze premiers « mystères du Rosaire », ainsi que l’apparition de la Vierge à Ste-Bernadette Soubirous.

Lampe du sanctuaire

La lampe du sanctuaire est composée de plusieurs plaques d’étain montées sur une base de laiton et de fer forgé. Plusieurs christogrammes et autres symboles traditionnels y sont représentés. Malheureusement, malgré sa position centrale, il est difficile de s’en approcher pour vraiment apprécier les détails des motifs à cause de sa hauteur. La seule personne qui a cette chance est celle qui descend la lampe pour remplacer le cierge à chaque jeudi. 

La technique

La technique du repoussé consiste à faire ressortir un motif sur l’avant d’une feuille de métal en appliquant une pression - parfois à froid, parfois à chaud - sur l’arrière à l’aide de divers outils. La feuille de métal peut être travaillée sans support, ou sur une surface spécialisée qui offre une certaine résistance, mais pas trop. Pratiquée sur des métaux malléables comme l’or, l’argent ou le cuivre, cette technique peut être combinée à d’autres pour créer une multitude d’objets esthétiques ou usuels. Parmi ces autres techniques, le repoussé est à ne pas confondre avec le repoussage, qui se pratique – comme la poterie - sur un métal en rotation. Par lui-même, le repoussé est strictement manuel et ne retire aucun matériel de la pièce travaillée. En ce sens, cette technique est similaire à celle de l’embossage, mais celle-ci travaille seulement l’avant du métal, pas l’arrière. Souvent utilisées en conjonction, les orfèvres considèrent généralement que le repoussé est beaucoup plus difficile que l’embossage. En plus de la patience et de la précision, le repoussé requiert de grandes aptitudes de visualisation spatiale pour travailler à l’envers, sans voir directement le côté exposé au public. C’est peut-être en partie pourquoi si peu d’artistes le pratiquent malgré ses 5000 ans.

En effet, on a retrouvé des vestiges de cette technique chez presque toutes les cultures de l’Antiquité. Par exemple, le masque funéraire du célèbre pharaon Toutankhamon a été formé presque entièrement d’une seule plaque d’or en repoussé. Bien que ce soit souvent une technique de précision à petite/moyenne échelle, la plus grande structure en repoussé jamais réalisée fut La Statue de la Liberté, en 1878. Elle est composée de 300 grandes feuilles de cuivres de 2,37 millimètres d’épaisseur qui ont toutes été martelées à la main.